comentario
Deriva escópica
[Scopic drive]
© lisi prada, 2015
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¿Cómo podría olvidarme de escribirle un texto?
[Comentario crítico al vídeo-ensayo 'Deriva escópica' para el catálogo de Traverse Vidéo, 2020, pg. 42 y 43]
par Simone Dompeyre[1]
En trois moments d’inégale durée, le regard interrogateur de Lisa Prada se concentre sur le phénomène d’attraction de La Joconde, œuvre emblématique de l’objet photographié avant/au lieu d’être vu ; œuvre que chacun peut citer sans, pour beaucoup, l’avoir jamais - réellement - regardée.
Les quatre minutes de Deriva escópica/Plaisir scopique multiplient les variations de plans des preneurs d’image de ce tableau, rarement regardé à regard nu mais filmé, photographié par appareil photo, smartphone - le plus souvent - ou tablette, un selfie une fois. Le regard sur ces regards avec prothèse est glosé en phrases surtitrées dans le champ.
Des titres internes auxquels s’adjoignent I et II, comme autant de chapitres, entraînent vers le savoir savant ce que confirme la liste finale intitulée « APPROPRIATION » qui, avec le conseil de « relire » donné à soi-même et aux autres, puisque à l’infinitif, énumère une bibliographie de philosophes, psychanalystes, essayistes ou une photographe. Elle débute par Le Traité de la Peinture de Leonardo da Vinci aussitôt suivi de Vasari, avant Freud, Benjamin, Bourdieu, Delord, Deleuze, Derrida, Lyotard, Lacan et d’autres encore dont Sontag. Cette appropriation déjà menée par l’artiste, puisque les phrases incrustées tout au long de la visite au Louvre sont empruntées à leurs ouvrages, nous est offerte à suivre… ce qui pourrait ôter la suspicion sur une telle attitude de capture d’image - d’appropriation - devant les œuvres. En préambule, la phrase invitant à éteindre son téléphone portable qu’un appariteur énonce en début de pièce de théâtre ou d’opéra, est dite inversée, invitant à allumer celui-là, ironie mais.
Puis ce sont I Ostranénie et II Épiphanie. La première théorisée par les formalistes russes et plus particulièrement, par Victor Chklovski, est un synonyme de « l’estrangement » ou de la défamiliarisation ; elle « consiste à compliquer la forme, à accroître la difficulté et la durée de la perception, car en art, le processus perceptif est une fin en soi et doit être prolongé. »
Le II en dirait la réussite puisque désignée comme cette apparition de la divinité. Et c’est le sourire d’une jeune femme au geste familier de repousser ses cheveux, qui est retenu. Dans l’après prise de photo, elle se dé-tourne. D’abord repérée dans la foule, désignée puis surcadrée sur la duplication en bandes horizontales de la salle, elle est « picturalisée » par effets touches de pinceaux alors que se mentionne « l’énigmatique sourire que je suis venu voir » ; ce qui assimile la résultante - la jeune femme sourit - à la cause - le sourire de Mona Lisa ; ce qui assimile le sujet venu voir à l’objet vu.
L’objet vu par nous, c’est aussi cette vidéo Pulsion scopique dont la mise en abyme varie les manières de voir. En seuil après le conseil renversé et, déjà, des claquements d’appareil, un plan d’ensemble de la salle, au-dessus de la marée des têtes, devine dans la profondeur du champ, lointaine La Joconde. Le montage syncope la prise d’images qu’il imite en rafales. Le changement d’axe décrit le public, tout âge confondu, pris au ralenti ou en à-coups, avec arrêt à chaque coup de « l’impact » cité. Le Noir et blanc alterne avec la couleur, parfois pour le même plan, parfois en bandes superposées, parfois la bande s’inversant. Silence puis brouhaha - type Tour de Babel, silence et les clics des appareils iconovores et des tirs se souvenant de la synonymie de shoot : prendre une photo et tirer une balle.
Et le plan privilégiant les mains de Mona Lisa, posées sur une fenêtre absente, sature à nouveau le champ puisque son sourire a rejoint celui d’une preneuse de photo et la vitre de protection a capté à son tour des reflets des preneurs de photo.
Le plaisir scopique réclamerait désormais un appareil interposé avec l’objet vu mais le film, lui-même, nécessite un appareillage de projection. Et utiliser les appareils obligerait à cet arrêt qui constitue la reconnaissance muséale et au moins le plaisir d’y avoir été, là, face ou du moins près de l’Icône par excellence.
[1] Simone Dompeyre, curator, présidente et directrice artistique de Traverse Vidéo.
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